LE SIFFLET ENROUE, N° 18
Paraissant au bon vouloir de son auteur,
Présentement, le samedi 17 septembre 2005


Armstrong : une affaire ?

                        Lance Armstrong était dopé à l'érythropoïétine (EPO) lorsqu’il a remporté le Tour de France 1999. C’était un an après « l’affaire Festina » qui avait alors défrayé la chronique. Le coureur français de cette équipe, Richard Virenque, prenait de l’EPO ainsi que deux autres de ses co-équipiers. Il a nié de manière ridicule ce fait avant d’avouer.

                        Avec le dopage d’Armstrong, on ne parle pas de « scandale » ou « d’affaire Armstrong ». C’est l’édition du mardi 23 août du journal l’Équipe qui a fait cette révélation. Point de battage médiatique au-delà des deux ou trois jours après la révélation du journal l’équipe. Le soufflet semble être retombé bien vite. Tout juste quelques brèves : le journal du dimanche daté du 10 septembre [1] signale les noms des deux autres coureurs dopés à ce moment. Et pourtant ! C’est bien la tête du cyclisme qui est visée. L’institution du tour de France n’est pas non plus épargnée. Bien plus : c’est l’un des mythes sportifs qui est remis en cause.

                        Mais parler ainsi au présent est bien illusoire : il n’y a pas de crise, pas de vide existentielle pour le sport. Ce serait sans compter sur la dénégation institutionnelle qui s’abat sur ce genre d’information critique. C’est bien pourquoi il n’y a pas d’affaire.

 

Mécanismes institutionnels de la dénégation

                        Cette œuvre obscurantiste de défense de l’ordre sportif s’exerce face à une contradiction où deux éléments ne peuvent tenir ensemble : la morale sportive (« l’esprit sportif ») et la pratique du peloton. Elle prend trois formes :

·        La suspicion, le doute exercé envers le fauteur de trouble

·        La banalisation d’un phénomène qui devient massif dans le sport contemporain

·        L’organisation d’une véritable chasse aux sorcières

                        La première forme est caractérisée par une réaction de lassitude face aux scandales à répétition. Le scandale du dopage ne semble plus faire recette. Beaucoup ne sont pas surpris. Il ne s’agit pas d’une « révélation » mais d’une confirmation de ce qui était déjà su. L’intérêt à la médiatisation de ce genre de dysfonctionnement du cyclisme est critiqué comme étant du mercantilisme malsain. Bref, l’effet de ce genre d’attitude consiste à jeter le discrédit sur le sérieux d’une démarche journalistique.

                        La deuxième forme est quant à elle beaucoup plus pernicieuse pour toute tentative d’élucidation des fondements du sport moderne. La banalisation s’exerce à travers un raisonnement qu’on pourrait appelé « présentiste ». En effet, dans cette perspective seul compte ce qui existe dans le présent : Armstrong n’a pas été contrôlé positif lors de sa dernière victoire ; seul ce fait compte : inutile de le chicaner pour un fait qui remonte à sept années.

                        La troisième inverse la charge de la preuve pour la retourner contre les traîtres. Ce n’est plus seulement le journalisme d’investigation qui est nul ou la fiabilité des tests effectués dans le laboratoire français mais c’est la traçabilité de l’information qui est recherchée. En effet, l’UCI était en possession des noms correspondant aux flacons d’urine qui ont été analysés positifs. Le journaliste de l’équipe qui a mené l’enquête a pu se fournir ces mêmes noms et les comparer avec les numéros de flacons analysés. L’UCI soupçonne une fuite… Ainsi, le président de l’Union Cycliste Internationale (UCI), Hein Verbruggen, bafouille un : « nous n’avons rien d’officiel. Nous devons attendre pour voir si ces informations sont vraies ». Il attend sans doute l’avis de Staline pour connaître la vérité !

Conséquences

                        L’institution sportive (ici le cyclisme) n’est pas faite d’un seul bloc monolithique mais est au contraire travaillée par des contradictions : c’est une œuvre humaine soumise au temps. Les scandales comme celui-ci permettent l’analyse critique.

                        De ce point de vue il faut dorénavant constater que les notions de « victoire », de « record » et de « champion », sont tout à fait relatives. Non pas qu’elles soient elles aussi soumises au progrès du temps linéaire sportif mais parce qu’elles sont immédiatement sujettes à caution. Les podiums chancellent sur leur base. En effet, Armstrong ne sera aucunement inquiété par l’UCI : 7 ans après, il n’y a pas de « flacon B » qui permettrait d’effectuer une contre-expertise rendant juridiquement valide une sanction disciplinaire par le tribunal du vélo. Ce « champion » restera le vainqueur absolu du Tour de France. Seule l’USADA, l’agence anti-dopage américaine pourrait l’inquiéter comme elle a pu s’emparer de l’affaire BALCO, ce laboratoire qui fournissait en THG des champions d’athlétisme. Voilà donc un champion dopé qui, malgré les gros yeux de la lutte anti-dopage, gardera sa médaille. Quelle valeur peut bien avoir de nos jours une médaille ?

                        Toucher à ce héros mythique c’est aussi s’attaquer au cyclisme et à son public d’aficionados. Le philosophe français Blaise Pascal disait que « le cœur a ses raisons que la raison n’a pas ». Effectivement, l’amour du sport est tel que le spectacle doit continuer, ceci malgré toutes les révélations sur la gangrène maffieuse du peloton. Et pour cause ! Le tour de France, par exemple, agrège de tels intérêts que personne n’ose miter ce bel édifice sportif si lucratif pour tous. L’État renierait-il un tel moment sportif (le Tour de France) alors même qu’il recueille une telle ferveur populaire [2]?

                        Personne à notre connaissance n’a pu faire la remarque suivante. Au cours du tour 1999, un an après l’affaire Festina, qui a déstabilisé le monde du cyclisme, une descente de police au eu lieu dans les chambres d’hôtel des différentes équipes afin de recueillir des indice de dopage. C’est là où Armstrong s’est mis dans une colère noire en menaçant de cesser sa participation si cela se reproduisait. Or, sauf erreur, il n’y a jamais plus eu de descente de la sorte. Chacun devrait pouvoir déduire de ceci que l’institution sportive est notamment traversée par des forces sociales maffieuses. Par définition, elles savent se coaguler, malgré leurs éventuelles contradictions, pour agir secrètement à l’abri des podiums et des médailles. De cela qui veut en parler ?

                        Enfin, les contradictions sévissent au sein même de la lutte anti-dopage : combien de chef en lutte anti-dopage ont jeté l’éponge face à la tâche ? L’unanimité est loin d’être gagnée. Bien sûr, cette lutte est basée sur la théorie de « la brebis galeuse » qui constitue le centre de la dénégation institutionnelle. Mais personne, au sein du sérail vélocipédiste, ne veut être si radical. Cependant, il existe deux tendances par rapport au problème du dopage :

·        Celle partisane d’un hyper-contrôle des sportifs avec un discours sévère sur les « tricheurs » : l’AMA en est l’exemple principale avec son relais français en la personne de Jean-François LAMOUR, le « ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative »

·        Celle qui banalise, qui veut laisser-faire la robotisation des sportifs en prétextant que la lutte anti-dopage est inutile car ayant toujours un métro de retard. Cette tendance qui rejette la faute à l’extérieur : sur la société qui valorise tant la vitesse, le paraître, l’immédiateté (l’obtention des résultats). « il n’y a pas que les sportifs qui se dopent » est l’emblème du raisonnement spécieux de cette tendance.

                        Pourtant, malgré tous ces scandales, certains continuent mordicus à présenter le sport comme le modèle de la conduite humaine. Ils le valorisent notamment auprès de la jeunesse pour la former et l’ouvrir à l’avenir. Comme si ce modèle ne souffrait aucune critique, comme s’il était pure de toute scories historiques. Pauvre jeunesse !


[1] La liste des « dopés » du tour 99. En plus de Lance Armstrong, d’autres coureurs « positifs » à l’EPO sont identifiés. Le JDD peut dévoiler le nom de trois d’entre eux, Le Journal du Dimanche, dimanche 11 septembre 2005, p. 19.

[2] Voir à ce sujet l’article suivant sur la « sociologie » des supporters de cyclisme : Fanny Connan, Objet d’affection, le Tour jouit d’un engouement jamais remis en cause, Le Monde, mercredi 13 juillet 2005, p. 19.

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