LE SIFFLET ENROUE, N° 6
(SPECIAL JEAN-MARIE BROHM II)
Paraissant au bon vouloir de son auteur,
présentement le lundi 5 mai 2003
FEU « QUEL CORPS ?»
Afin de reprendre les propos du n° 5 sur le dernier livre paru (disparu ?) de Jean-Marie Brohm, il est nécessaire de parler de la fin de la revue qu'il animait principalement : feu la revue « Quel Corps ?». Avec le point d'interrogation s'il vous plaît pour bien marquer la nature critique de cette interrogation fondamentale. Interrogation qui est d'ailleurs toujours restée bien étrangère au « front uni des bétonneurs des STAPS » [1] (citation de la page 186, note n° 2).Cette revue (1975-1997) se voulait la caisse de résonance d'une avant-garde anti-sportive tout comme il a pu y avoir au XXème siècle des avant-gardes politiques ou artistiques. Sa fin était justement la déconstruction de l'idéologie sportive et olympique. « La vocation première de Quel Corps ? fut d'être et de rester un instrument stratégique d'intervention anti-sportive et anti-olympique, un lieu de regroupement et d'organisation des énergies militantes » (P. 185).
LES BONNES CHOSES ONT TOUJOURS UNE FIN
Quant aux raisons de sa fin, il en est fait mention vers la fin du bouquin : l'encerclement et l'isolement des thèses critiques en même temps que leur récupération/banalisation. Tout cela à la faveur d'une bureaucratisation de la revue. Tout se passait ainsi comme si la revue ne remplissait plus sa finalité. Elle méritait donc une fin ! Du coup Jean-Marie Brohm a voulue sa mort... Sans doute pour qu'une stratégie anti-sportive reste bien vivante.
LES HABITS NEUFS DE LA CRITIQUE RADICALE DU SPORT
Cette récupération/édulcoration/banalisation s'est effectuée justement sous le masque de la critique, mais de cette sorte de critique inoffensive voire même apologétique : de cette sorte de critique dont il était question dans le S.E. n° 5. Les lignes de ce précédent numéro s'inspiraient directement des propos de Guy Debord (« Commentaires sur la société du spectacle »). « Cette fausse critique contre-journalistique » ou encore cette « critique sociale d'élevage » pour laquelle, « il s'agit de créer, sur des questions qui risqueraient de devenir brûlantes, une autre pseudo-opinion critique (...). Les thèmes et les mots ont été sélectionnés facticement, à l'aide d'ordinateurs informés en pensée critique (...). Ils ressemblent au fac-simile d'une arme célèbre, où manque seulement le percuteur (...) nécessairement une critique latérale qui voit plusieurs choses avec beaucoup de franchise et de justesse, mais en se plaçant de côté (...) sans jamais ressentir le besoin de laisser paraître quelle est sa cause : donc de dire, même implicitement, d'où elle vient et vers quoi elle voudrait aller ».
Jean-Marie Brohm nous fait le plaisir de citer ce penseur critique. Il s'est d'ailleurs toujours peu ou prou inspiré des situationnistes au cours de son cheminement de chercheur-militant.
Écoutons donc Jean-Marie Brohm à propos de la critique du sport : « la critique est aujoud'hui presque universellement conçue comme un “habitus obligatoire”, elle est même devenue une sorte de lieu commun consensuel ».
Pour s'en rendre compte, il suffirait d'ailleurs de faire une analyse de contenu des programmes d'EPS du secondaire ou encore des multiples textes paraissant dans la revue « EP.S » (mais c'est la même chose !). Dans ces textes, le comportement souhaité est celui du « spectateur critique » grâce à la transmission des « valeurs citoyennes » du sport (sic). Bref, de même que Guy Debord parle de la fausse critique en la qualifiant de « critique spectaculaire du spectacle », de même serait-il approprié de parler ici d'une critique sportivisée du sport.Il est rappelé que : « la critique, et tout particulièrement la critique du sport, est donc avant tout une critique politique en acte des rapports sociaux, institutions, groupes d'appartenance, catégories de pensée, représentations sociales et idéologies de la société capitaliste contemporaine, avant d'être une production de livres ou d'articles “scientifiques” destinés à valoir comme “publications” auprès des instances de normalisations de la pensée ». Cette remarque pourrait particulièrement s'appliquer aux professeurs d'EPS qui font tout pour se faire remarquer auprès de leur inspecteur (« Pédagogique » Régional) dans une persective carrièriste (« leur plan-d'épargne-carrière » dit JMB, page 133), ceci au détriment de la recherche d'un développement émancipateur de la discipline dont il ont la charge au sein du système éducatif.
UNE STRATEGIE D'INTERVENTION ANTI-INSTITUTIONNELLE ?
Il ne faudrait pas perdre de vue que le sous-titre du livre est « essais d'analyse institutionnelle ? » (au pluriel !). C'est-à-dire des essais issus d'«(...)un mouvement critique en acte, [qui] n'a jamais cessé d'insister sur le projet d'intervention dans et contre les institutions » (p. 133) et donc, en particulier contre le sport et l'éducation physique et ses fonctions politiques réactionnaires.A propos d'intervention, il épingle deux intellectuels : Marc Perelman qui a écrit deux stimulants essais (« Le stade barbare » et « Les intellectuels et le football »). Deuxièmement, le grand maître (on pourrait dire le néo-socrate) Robert Redeker, républicaniste convaincu (de gôche bien sûr, tout comme Chevènement), qui a écrit « le sport contre les peuples ».
il les épingle en flagrant délit d'absence d'intervention : « il reste que la radicalité ne peut rester contemplative et implique une perspective politique de contestation. La dénonciation n'est en effet qu'une propédeutique à l'intervention et celle-ci suppose à son tour une stratégie d'intervention anti-institutionnelle qui ne saurait se réduire à des articles, même incendiaires, dans la presse » (page 133, note n° 1).
ET LE SIFFLET ENROUE ?
Le désir de persifflage au sein des « appareils idéologiques d'Etat » comme dirait Jean-Marie Brohm, pourrait constituer la substance du Sifflet enroué ; c'est pourquoi il pourrait non seulement rendre compte des initiatives anti-sportives mais encore initier quelques sympathiques négations de l'ordre étatique sportif. C'est une possibilité objective qui tiendrait compte de la critique de Jean-Marie Brohm à l'égard de la critique de papier.
LA CRITIQUE : UN SPORT DE COMBAT ?
Le film « la sociologie est un sport de combat », de Pierre Carles est un hommage à Pierre Bourdieu : ce dernier y dit que le sociologue comme le sage des arts martiaux ne peut que se défendre mais jamais attaquer, sous peine de ne plus remplir son rôle. Jean-Marie Brohm qui ose mêler (c'est ça la dialectique qui casse des briques !) des jugements historiques à ses investigations sociologiques n'a pas la même manière positiviste d'envisager l'analyse du sport que feu son ex-« collègue » : il refuse un rôle. De plus, il le rappelle tout au long de son livre, les disciples de Bourdieu agissant dans « le champ » du sport ont toujours su ostraciser ses postions. Il dit s'être affronté sans cesse à « l'éthos de bande organisée des sportifs bourdieusiens et des postmodernes » (p. 197). C'est sans doute pourquoi le grand maître de la sociologie est affublé de jolis sobriquets comme « le clerc éclairé du collège de france » (p. 164). De même, le mépris bourdieusien envers le journalisme est à son tour méprisé. (On pense au journalisme d'investigation comme le pratiquait Günter Wallraff en allemagne durant les années 1970).
Tous ces rappels sont bien sûr tout à fait salvateurs pour des conditions propices à la pensée critique.Laissons le mot de la fin de la théorie critique du sport à JMB : « Contre la machinerie sportive et ses innombrables machinistes [notamment les professeurs EPS] [2] qui entretiennent les illusions humanistes de “l'esprit sportif”, la sociologie critique d'intervention entend proposer une stratégie de contestation dont rendent compte ces essais d'analyse institutionnelle » (4ème de couverture).
Ami(e)s lecteur(trices), aux travaux pratiques maintenant!
[1] Si l'on a bien révisé ses numéros précédents, on sait déjà que STAPS veut dire : Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives. Cette filière universitaire est maintenant de plus en plus nommée « Faculté du Sport et de l'Education Physique ». Quand on sait qu'il s'agit en fait de véritables officines du sport, on comprend mieux pourquoi, afin d'avoir une notoriété, il est nécessaire de prendre la pause du sérieux universitaire ! La qualification de ces filières comme étant des « citadelles de la médiocrité bureaucratique autosatisfaite » (page 142), est parfaitement juste.
[2] A chaque fois, ce genre de crochets indique une précision issue du Sifflet enroué.