sport de compétition et aliénation du corps

GrouCHOS

Groupe Contre l'Horreur Olympique et Sportive

analyse de l'institution sportive & critique du capitalisme

JO Paris 2024 : le spectacle des performances

Qui a dit que le CIO était a-politique ? L’un de ses honorables membres français, Guy Drut a pris ouvertement position pour l’extrême-droite en vue des élections législatives de ce mois de juin 2024. « Eric Ciotti a eu raison d’appeler à cet accord [avec l’extrême-droite] face à la menace fasciste de gauche » (Le Monde, mardi 18 juin 20224). Quelle belle performance oratoire ! Anne Hidaldo trône avec des sportifs au bord de la Seine Du côté de la tête pensante de cet organisme international, non-gouvernemental, privé, à but non lucratif et dont le siège social est à Lausanne, on feint la neutralité à ce propos.Thomas Bach, le président du CIO, déclare que quel que soit le résultat, il s’agit d’« un processus démocratique qui ne va pas perturber les JO » et la ville hôte à travers sa représentante socialiste est complètement alignée sur cette position. Dans une position couchée, si l’on peut dire, par rapport à la majesté du CIO, depuis qu’elle a virée casaque et qu’elle est devenue la propagandiste acharnée de cette foire du muscle. Elle prétend même se baigner dans la Seine, sans doute pour prouver que sa ville est tout ce qu’il y a de plus pure et de vert. Vive Escherichia coli !

« Principe de neutralité politique » dit la Charte olympique mais pourtant l’histoire nous a appris que cette neutralité n’était que l’inversion de la réalité puisque c’est justement en son nom qu’on été légitimés par le CIO les pires régimes autoritaires (totalitaires, même!) champion sur le podium secondé pas un capitaliste et un flic lorsqu’il adoube les villes qui les représentent. Et encore maintenant avec l’acceptation récente de 47 athlètes (28 Russes et 19 Bélarusses) sous bannière olympique : mais attention ! non dopés, qui ne soutiennent pas l’agression poutinienne de l’Ukraine et qui ne font pas partie de l’Armée. On y croit tous... Ce qui compte pour le CIO c’est de sauver les apparences, de conforter la croyance au récit de l’amitié des peuples à travers la Trêve olympique. Il en va de son statut de poule aux œufs d’or, c’est sûr.

Le sport en ce sens est un discours à n’en plus finir pour des croyants. Dans les médias dominants, journalistes et spécialistes parlent de performance, de mesure et de codification par les fédérations et donc de compétition physique pour définir le sport. Cette juste analyse doit toutefois être située dans une perspective historique pour envisager les commencements du sport ainsi qu’en théorisant sa structure dans le type de société qui lui correspond. Peu de Médiatiques s’aventurent sur ce type de réflexion. Mais là où la voie est interdite c’est d’envisager aussi le sport comme une idéologie : quels intérêts sert-il ? Quels sont les noyaux de sens incontournables de l’idéologie sportive ? Quels types de distorsion produisent images et représentations sportives ? Là se situe les limites de ces émissions où les experts ont la parole.

Pour Paris 2024, le discours de légitimation a notamment pour thème « l’héritage », une marotte du CIO pour paraître plus vert : il ne faut plus laisser des « éléphants blancs » comme en Grèce en 2004 ou même à Rio en 2016. Les infrastructures doivent être modestes, pas comme à Sotchi (hiver 2014). Et puis il faut aussi que tous les français deviennent sportifs. Mais il faut avant tout qu’ils s’enthousiasment pour cet « événement » (historique !). Et si la ferveur n’existe pas, il faut la créer spectaculairement. « Nous voyons une grande unité en faveur des JO à Paris » a pu dire Thomas Bach (AFP, lundi 10 juin 2024) lorsqu’il est venu à Paris, comme en éclaireur. Pourtant un sondage de la fin du mois de mars tendait à montrer « le peu d’enthousiasme que suscite l’événement auprès du grand public » (Le Parisien, 26/03/2024). Le moins que l’on puisse dire c’est que cet état de chose n’a guère évolué depuis, tellement en France ces « jeux » ne semblent vraiment pas faire partie des préoccupations de la grande majorité des habitants des villes, des bourgs et des tours. Et comme pour compenser cela, une vraie machine étatico-médiatique de propagande s’est mise en branle depuis déjà de nombreux mois, voire des années.

Dernièrement, c’est la télévision publique (France Télévision) qui relaie cette propagande sur ses chaînes ou même au cinéma à travers une sorte de spot publicitaire. On sait que l’image, la musique et la voix propres au cinéma ont pu être instrumentalisées pour mobiliser des masses au XXe siècle avec des effets délétères. La leçon a été retenue tellement le son dans la salle est à la limite de percer les tympans. Les images de sportifs divers sont percutantes de par la vitesse à laquelle elle sont enchaînées et les clairs-obscurs de l’image soulignent amplement les musculatures bien ciselées. Le thème de l’inclusion est aussi beaucoup mis en valeur puisque dorénavant les Jeux olympiques sont en même temps les Jeux paralympiques. Le CIO sait se mettre à la page en prétendant lutter contre les discriminations, pourvu qu’on se tire la bourre physiquement et selon les codes des fédérations pour savoir qui est le plus fort et donc le meilleur parmi les personnes handicapées. Mais l’originalité de ce spot digne du roi Ubu réside dans le pastiche de la Marseillaise :

« Allons, athlètes de la Patrie !
Le jour de gloire est arrivé
l’élite sportive réunie
l’étendard tricolore est levé !
l’étendard tricolore est levé !

Entendez-vous monter dans vos écrans
monter ces intenses émotions ?
Qui vienne jusque sur vos bras
émouvoir vos fils, vos compagnes

Aux jeux citoyens !
Formez vos supporters !
Chantons ! Chantons !

Que l’histoire qui s’écrit
grave nos mémoires
à l’unisson
Aux Jeux citoyens !!

C’est un clip patriotard qui tourne en farce la masse révolutionnaire qui œuvra à Valmy en 1792. On entendra pourtant que l’événement est historique... Ce spot a sans doute demandé beaucoup d’effort à son concepteur mais on voit le résultat : une belle poésie nationale-sportive qui transcende tellement le peuple français. La ville de Paris, partout aux couleurs et à l’effigie du CIO perd complètement sa signification historique, notamment à travers le maquillage olympique des bâtiments publiques et des rues. La farce rime avec l’effacement des traces d’histoire de cette ville. Ce serait risible si l’extrême-droite n’était pas devenue aussi omniprésente : cela prend une gravité soudaine. Malgré tout, on ne sent guère « monter ces intenses émotions qui viennent jusque sur vos bras émouvoir vos fils, vos compagnes ». On imagine bien un employé d’une métropole, après une journée de boulot au bureau entreprendre de former ses supporters en vue de ces deux fois deux semaines de jeux. On forme des bataillons mais des supporters ? Avec Ubu, ne cherchons pas le sens. Par contre, il s’agit bel et bien d’une propagande qui s’est constamment intensifiée à l’approche du grand spectacle sur la Seine.

Le lavage de cerveau s’est aussi exercé au sein de l’institution scolaire notamment dans l’Éducation nationale où on incite les professeurs à présenter l’olympisme aux élèves sous ses plus beaux atours. Pas le dopage, la corruption, les luttes de pouvoirs et les scandales ou autre mais quelque chose de conforme au récit officiel du CIO. C’est d’ailleurs dès 2017 que des textes officiels sont parus à l’ode de l’organisme lausannois. On se demande où est passé l’esprit critique tant vanté dans cette institution. Surtout à la lecture de ce qui est présenté sur la plate-forme du réseaux Canopé, un établissement pourtant publique.

C’est notamment avec l’aide des syndicats français qu’un organisme privée comme le CIO a réussit pour célébrer la fin de cette XXXIIIe olympiade, à soumettre à lui les lois et l’espace d’un pays entier. Une véritable appropriation privative de l’espace publique a été mise en place. Le summum est atteint à Paris où va régner un régime sécuritaire d’exception encore pire qu’au moment du SARS-CoV-2 grâce notamment à la loi olympique de mai 2023. Alors que Lallement (l’ex-préfet de Paris) qui tentait de surveiller la population avec des drones fut recalé à l’époque par la justice, maintenant les drones sont devenus légaux ainsi que la « vidéosurveillance algorithmique » (avec la future possibilté de la reconnaissance faciale). Des zones entières de l’espace parisien seront carrément interdites à la circulation ordinaire : les riverains ne pourront pas rentrer ou sortir de chez eux sans que leur QR-code ne soit flashé par un vigile. Au moins, au moment de la pandémie, les autorisations de sortie permettaient de transgresser la règle autant en terme de durée que de distance mais ici le contrôle sera autrement plus suspicieux et resserré. Depuis les attentats terroristes et après le mouvement des Gilets Jaunes, on sait que tout état d’exception, au lieu de confirmer la règle (ordinaire) la distord et crée les conditions pour qu’il devienne l’évidence permanente. Là aussi il faut se rendre à la raison : n’en déplaise à Macron le sport est bien politique.

Cette gestion autoritaire de l’espace publique s’accompagne de tout l’affairisme capitaliste lié à la gigantesque restructuration urbaine menée en Seine-Saint-Denis depuis des années. Rénovation menée avec le chantage autour du bénéfice qu’en retireraient les habitants : en terme de logement, de transport, de loisir. L’exemple de l’East London et des JO de 2012 à Londres devrait doucher ce genre d’illusion mais il faut croire que les zélites ont intérêt à ce genre de mensonge. Et puis comme à chaque fois que ces opérations spéculatives ont cour, ceux qui habitaient là subissent une violence sociale qui les amènent à quitter leur lieu de vie. Des luttes ont été menées contre cet aménagement urbain dans cette partie d’Île-de-France par les riverains. Elles portaient sur la préservation de l’aspect social de ces lieux de vie et sur les effets écologiques et gentrificateurs des rénovations urbaines entreprises à Aubervilliers, La Courneuve ou Saint-Denis. L’autre mensonge, le coût de ces jeux est relayé de toutes part chez les puissants. Le COJOP (Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques, dirigé par Tony Estanguet) prétend que leur « événement » ne coûte que 4 milliards dont 157 millions d’argent publique. Mais c’est oublier le budget des infrastructures construites par la Solideo soit 4,5 milliards dont plus de 2,5 milliards abondés par l’argent publique. Mais le vrai oubli (bien conscient) concerne les frais supplémentaires et imprévus qui sont assurés par l’Etat (à la demande du CIO), notamment tout ce qui concerne la sécurité. Tous ces frais qui dépassent le budget (les transports, des équipements par exemple) sont estimés à plus de 3 milliards d’euros (via la fiscalité), si bien que ces jeux pourraient coûter 11 milliards. Tout ça pour un événement d’un peu plus de deux semaines. Quand on sait les difficultés dans lesquelles se débattent les services publics en France et en particulier l’Hôpital (la santé en général), il y a matière à réviser tous les beaux principes soi-disant humanistes de la Charte olympique.

Enfin, concernant ces Jeux olympiques, un aspect est étrangement éludé : le dopage. C’est comme De Coubertin : il est préférable d’être évasif sur le sujet tellement cela pourrait corroder la belle image et le récit sensé faire rêver. En effet, depuis que le dopage d’Etat des athlètes russes a été révélé (octobre 2015), tout se passe comme si le problème était réglé. Or, aux Jeux olympiques, le dopage est une arme cruciale pour les États qui jouent sur un plan symbolique leurs relations géopolitiques. Disons que dorénavant le dopage a pris de nouvelles formes qui l’intègrent complètement à la logique du sport. On feint ainsi de maintenir une lutte anti-dopage en restant au repérage sophistiqué des produits mais dans le même temps les méthodes d’entraînement inhumaines se développent pour modifier les capacités physiques des sportifs. Toujours pour garder sauves les apparences et préserver la poule aux œufs d’or. Ces derniers consentent d’ailleurs à endurer des épreuves qui les instrumentalisent à travers des dispositifs de rationalisation extrême. Jusqu’à ce qu’ils deviennent étrangers à eux-mêmes : on s’en rend compte lorsque les sportifs parlent après une blessure ou lorsque que leur carrière est finie. Où est le sujet en pareil cas ? Cela n’a rien à voir avec le jeu alors qu’il est pourtant question de « jeux » olympiques. Ici, les participants ne sont pas libres de l’organisation de leur activité. L’activité physique est en prise avec la marchandise : elle n’a rien de gratuit. Certains corps ne correspondant pas à la norme de la performance sportive sont exclus. L’obsession de la détermination du vainqueur empêche toute égalité dans les relations entre participants.

Mais de l’autre côté le spectateur consent à ne pas voir la souffrance rentrée et accumulée de longue durée que suppose le spectacle des performances. Il ne peut voir la précocité nécessaire de ces entraînements démentiels qui fauchent la jeunesse du corps. Ce corps qui ne demande qu’à vivre en relation libre avec à l’autre. Le seul autre envisageable à travers les Jeux olympiques reste l’autre bolide momentanément au repos dans le village olympique. Les Jeux olympiques sont structurés par ces deux pôles indissociables d’autant que le pouvoir du CIO tient essentiellement dans la maîtrise de la diffusion mondialisée (via les sponsors) des images de ses compétitions. On estime à quatre milliards le nombre de téléspectateurs lors de ces quelques semaines. Si l’on ajoute à cela que le CIO discute d’égal à égal avec les États (il est « observateur permanent » à l’ONU depuis peu), on mesure toute sa puissance.

Où est donc l’humanité de ce type de regard qui lui-même relève de rapports sociaux spéciaux ? L’histoire de l’humanité a pourtant connu des moments de culture où d’autres potentialités vitales se sont exprimées à travers le corps et le jeu. Retrouver cet être générique par delà les frontières et à travers les techniques historiques du corps, à travers ces dimensions sociales et ludiques seraient une perspective d’avenir tout-autre que celle du baron de Coubertin.

Harpo, juillet 2024