Après le SE n° 6 où il était question du dernier livre de Jean-Marie BROHM, un long silence s'est fait entendre dont la raison principale a été les effets du « mouvement social » de mai-juin 2003. La parole était dans la rue et le SE a été lui aussi pris par ce mouvement. « De l'argent il y'en a ! à Rolland Garros ! » pouvait-on entendre aux abords du stade du même nom lorsque des grévistes tentèrent une (gentille) perturbation. Le Tour de France ne fut pas non plus épargné par ce vent de révolte. Maintenant que ce même vent risque de ne plus souffler que par intermittence, il est temps (mais sans doute que pour un temps !) de se dégriser en poursuivant la parution de ce bulletin anti-sportif; surtout qu'on n'en a pas fini avec l'idéologie sportive puisque se profilent à l'horizon les Jeux Olympiques d'Athènes et la candidature de Paris pour ceux de 2012.
Eduardo GALEANO
C'est un uruguayen qui a notamment écrit « football,
ombre et lumière » aux éditions Climats. C'est aussi un
aficionados de cette spécialité sportive. Il écrit assez
régulièrement en France pour le journal « Le Monde Diplomatique
» : par exemple on pourra lire :
http://www.monde-diplomatique.fr/2001/08/GALEANO/15465
Ce n'est pas sur cet article que nous souhaiterions nous attarder mais au contraire
sur le tout dernier: celui de quatrième de couverture du Monde Diplomatique
d'août 2003.
UN JEU?
« faut-il le rappeler, dit Eduardo? Le Football est un jeu ». Ce
genre de préjugé est extrêmement courant chez les aficionados
du football. Ce qu'il faut rappeler au contraire c'est que le football est un
travail et qu'il est logique qu'il soit organisé comme « une industrie
cannibale ». L'article est construit sur deux plans parallèles
qui ne se joignent qu'artificiellement: le football que l'on imagine (le jeu),
et le football réel. Le jeu avec ses éléments (fantaisie,
liberté, gratuité, créativité, plaisir) d'un côté,
le football laborieux de l'autre (efficacité, entraînement, souffrance
et mort, cadences).
Comme les ingénieurs/technocrates qui robotisent les joueurs, Galéano
commet « la folie de croire que les joueurs jouent ». Et pourtant
il est conscient de la réalité: « devenu un travail dit-il,
soumis aux lois de la rentabilité, le jeu cesse d'être ludique ». Effectivement ce « jeu » devient comme n'importe quel autre
« jeux » : il est dominé par le spectacle. Mais, de par sa
foi en ce sport, Galéano maintient tout au long de son article que le
football est « le plus beau et le plus populaire des sports, joie des
jambes [sic] qui le pratiquent et des yeux qui le regardent ».
Le seul opérateur lui permettant de faire se joindre les deux plans ?
La satanée « globalisation » qui uniformise un sport qui
est imaginé pur jeu à son origine. La diversité aplatie
par le rouleau compresseur de la mondialisation, en résumé. Mais
cet opérateur reste artificiel tant il y a belle lurette que ce jeu a
cessé d'être ludique; s'il ne l'a jamais été. Pensons
tout simplement au professionnalisme qui s'installe petit à petit mais
définitivement après la deuxième guerre mondiale. Ce n'est
pas les exemples réels qui sont donnés dans l'article (Un club
autogéré au Brésil en 1982/1983, une rencontre amicale
Bouthan/île Montserrat) qui peuvent convaincre que le football est un
jeu. Tout simplement (et la vérité est simple !) parce que c'est
le spectacle sportif actuel qui donne le la et domine au point de faire disparaître
toute contradiction au sein du football: on ne verra jamais les syndicats de
joueurs réclamer l'autogestion généralisée du football,
ni des joueurs s'entendre pour transformer les règles du jeu en cours
de partie ! Le spectacle sportif est sans doute dès le début indissociable
du football parce qu'il n'y aurait pu y avoir de football sans presse sportive.
LE FOOTBALL: UN SALE BOULOT
Domination des règles instituées, entraîneur tyrannique et entraînements qui lessivent, joueur-marchandise, dopage ruinant la santé, bureaucratie, magouilles, et maffia, triche, blessures graves: le football est un sale boulot. Il faut le rappeler ! Seul le dépassement de ce « jeu » pourrait avoir des chances de retrouver des qualités ludiques à condition qu'il soit en phase avec une révolution de la vie quotidienne.